Danièle Gossin a enseigné à Dalame, sa trotteuse, 181 termes et expressions. Mieux : elle était capable de les combiner en phrases. Dans son livre « Parler au cheval et être compris« , elle explique comment elle y est parvenue, et les découvertes étonnantes sur les capacités linguistiques du cheval qui ont découlé de l’expérience. Ce faisant, elle nous donne aussi les clés d’une meilleure compréhension du cheval et du développement de son intelligence.
Ce livre a toujours exercé une grande fascination sur moi, qui suis sans doute aussi passionnée par les langues que par le cheval et l’équitation. J’ai toujours refusé obstinément de le prêter – de peur qu’il ne disparaisse de ma vie à jamais – mais c’est avec un plaisir immense que je le partage à travers ce résumé. En espérant qu’il soit aussi inspirant pour vous que pour moi.
Première partie – Principes et méthodes
« Et, puisque l’Homme s’enorgueillit de posséder un langage articulé et une intelligence, pourquoi l’homme de cheval s’abstiendrait-il de s’en servir, alors qu’il doit s’occuper d’un animal puissant et émotif, et que c’est uniquement en structurant le cerveau de celui-ci qu’il peut contrôler la situation et s’en faire un allié de tous les instants ?… »
Parler au cheval et être compris, Danièle Gossin
1 – Parler au cheval : une utopie ? un luxe inutile ?
« Vouloir être compris du cheval implique qu’on lui attribue suffisamment d’intelligence pour y parvenir. »
Parler au cheval et être compris, Danièle Gossin
Les conditions de vie et de travail qu’on impose au cheval ne sont généralement pas propices au développement de son intelligence. Pourtant, le cerveau du cheval possède bien des neurones, et ceux-ci comportent deux règles intrinsèques : une tendance à s’associer, et une tendance à se détruire faute d’usage.
Un autre problème est celui du langage. L’homme est le seul être vivant aujourd’hui à employer un langage articulé (note : des recherches récentes tendent à démontrer que d’autres espèces en sont capables, même si tout le monde n’est pas d’accord). Certaines espèces disposent d’un langage social (exemple : la danse des abeilles), mais les possibilités de celui-ci sont très limités, et les abeilles ne sont en mesure de l’utiliser que par réflexe. On est très loin de la sophistication du langage humain.
Est-ce à dire que le cheval ne peut pas comprendre notre langage ? Il s’agit d’un animal a l’ouïe très fine, capable d’interpréter un son complexe de façon interactive. Danièle Gossin donne l’exemple d’un coup de tonnerre à 5km de distance, puis à 1km. Le cheval est de plus en plus effrayé. Or, dans notre un cerveau, c’est le même type de structure qui traite la compréhension des paroles et l’analyse des sons. De plus, le cheval est également capable de signes sociaux complexes (qui sont décrit en troisième partie de l’ouvrage, dans un petit lexique « cheval-français »).
Le problème, lorsqu’on veut enseigné le langage humain au cheval, c’est de s’assurer que les mots sont bien compris, et de limiter le risque de mal interpréter la réaction du cheval. Cela demande une certaine rigueur et surtout de « rester prudent quant aux apparences« .
Les avantages pratiques d’enseigner le langage au cheval :
- comme aide supplémentaire dans l’enseignement de nouveaux exercices
- au jeune cheval pour traduire les aides à pieds en aides montées
- au cheval monté par un débutant, qui peut avoir du mal à se faire comprendre par des aides tactiles qu’il ne maîtrise pas encore
- pour se faire comprendre à distance par le cheval à l’écurie ou en liberté.
Les avantages psychologiques et relationnels : le cheval en cours de débourrage ou monté par un débutant sera rassuré d’entendre des demandes qu’il connaît tandis qu’il essaye de comprendre les aides tactiles ; pour éviter d’avoir à renforcer les aides sur un cheval non attentif ; pour l’informer de façon neutre de la qualité des mouvements qu’il exécute (oui, non, c’est très bien).
Les avantages sur le plan ludique et pédagogique :
« Pour ceux qui continuerait de penser que jouer n’est pas sérieux, rappelons que c’est un besoin aussi fondamental pour l’animal que boire, manger, dormir et se donner du mouvement, et qu’aucun de ces besoins fondamentaux ne peut être négligé sans créer des problèmes de santé et de comportement. »
Parler au cheval et être compris, Danièle Gossin
2 – Comment s’y prendre ?
Danièle Gossin conseille un mix de trois méthodes pour apprendre notre langue au cheval :
- Le « bain de langue » ou apprentissage spontané : parler à son cheval aussi souvent que possible. Les mots qui ne leur sont probablement qu’un brouhaha confus au début finissent par prendre du sens dans leur contexte (c’est ainsi que certains chevaux de club répondent, sans avoir reçu de formation spécifique, à la voix du moniteur avant que son cavalier n’ait pu réagir)
- L’apprentissage proprement dit : il s’agit de faire associer volontairement par le cheval un mot à un mouvement ou un exercice.
- L’apprentissage d’opportunité : vous voyez le cheval exécuter de lui-même un mouvement auquel vous souhaitez associer un mot ? Prononcer le mot à chaque fois que vous voyez le cheval faire. A la longue, le mot évoquera le mouvement dans l’esprit du cheval.
Quelques éléments de la terminologie qui sera utilisé dans le livre :
- Présentation : prononcer le mot à apprendre en aidant physiquement le cheval à le comprendre (ex : dire « recule » puis faire reculer le cheval avec la main sur le poitrail)
- Représentation : recommencer, de manière à ce que le cheval associe le mot au mouvement qu’il exécute en même temps
- Contrôle : prononcer le mot sans assister le cheval dans le mouvement, de manière à contrôler sa compréhension
- Apprentissage : toutes les présentations et représentations qui ont permis la compréhension du mot par le cheval
Planning : pour chaque terme, on prévoit une présentation et plusieurs représentations espacées sur quelques jours pour permettre au cheval d’assimiler les termes. Les premiers contrôle se font entre 15 minutes et 1h après une séance de représentations. Ensuite, pour assurer la mémorisation long terme du mot, il faut réaliser des contrôles de plus en plus espacées.
Exemple de contrôles :
- En selle ou en longe, on énonce le mot sans toucher aux aides ou sans avoir de chambrière en main
- En liberté, dans un espace restreint – le cheval doit rester à porter de voix
- En aveugle : pour éviter les petits gestes inconscients qui pourraient aider le cheval, effectuer la demande en fermant les yeux, et contrôler la réponse avec les traces de pas qui indiquent son déplacement
- Varier les contrôles : si vous enseignez le mot « arbre » en n’exercant le cheval que sur un seul arbre, alors il associera le mot à l’arbre de l’exercice et non au concept d’arbre.
Quelques précautions :
- On évite de multiplier les représentations pour ne pas endormir l’animal
- Le cheval doit avoir compris après 3 représentations, sinon il faut laisser passer une nuit et chercher une autre façon de faire comprendre le mot
- On se limite à deux termes à apprendre par jour pour éviter de surcharger la mémoire
3 – Attention et motivation
Pour que le cheval apprenne, il faut lui donner envie d’être attentif à ce jeu des « devinettes » que nous lui proposons. Il faut le MOTIVER.
« Dans le cadre de l’initiation au sens de la parole, il serait paradoxal de gronder ou punir l’animal, qui ne peut être tenu responsable de ne pas comprendre. »
Parler au cheval et être compris, Danièle Gossin
- La punition est plus motivante qu’une attitude neutre, mais moins qu’une attitude positive.
- Le motivation positive : il vaut mieux ignorer les fautes (attitude neutre) et donner de l’importance aux réussites, à l’aide d’une caresse ou d’une récompense. Mais il faut également faire en sorte que la tâche ne soit pas pesante pour le cheval, afin qu’il se récompense de lui-même en se livrant à une activité qui le passionne. En lui donnant la forme d’un jeu, qui constitue comme on l’a vu un des besoins fondamentaux du cheval, on est certain qu’il participe avec enthousiasme.
4 – Une indispensable réciprocité
« Par définition, une relation implique la réciprocité ou n’est pas. Souhaiter que le cheval nous comprenne sans vouloir aussi le comprendre constitue un paradoxe. »
Parler au cheval et être compris, Danièle Gossin
Il faut être capable de comprendre le cheval, de se mettre à sa place, pour être certains de sa bonne compréhension des termes et d’un apprentissage serein. Il faut donc apprendre à décoder le langage gestuel du cheval.
Deuxième partie – Petit lexique « Français – Cheval »
Les termes sont présentés dans l’ordre dans lequel il serait idéal de les enseigner, si on veut suivre une progression logique. Cet exemple de « lexique » est toutefois à adapter à chaque cas.
1 – Remarques préliminaires
« C’est une erreur de croire qu’un cheval coincé entre mains et jambes est plus maniable qu’un animal qui agit sans contrainte, et donc de meilleur gré et dans un équilibre plus naturel. »
Parler au cheval et être compris, Danièle Gossin
Viens (ici) : idéal à enseigner au travail en longe. Le faire revenir sans forcer ni tirer sur la longe, en le laissant prendre son temps. Le récompenser d’une friandise quand il revient. Quand le terme est compris en longe, essayer à l’écurie ou en liberté.
Au pas : le cheval étant arrêté, prononcer le mot seul, puis ajouter les aides si le cheval est resté en place. Une fois le mot compris, reprendre l’apprentissage de la transition trot-pas avec le même mot. Bientôt, il sera possible de lui demander le pas depuis le petit galop. Varier les demandes, surprendre le cheval : lui demander de repasser au pas après 2, 5, 3 ou 6 foulées de trot ou de galop, de sorte à ce qu’il reste attentif.
Au trot : même démarche que pour le pas.
Au galop : à travailler d’abord sur un cercle afin que le cheval parte plus facilement sur le bon pied. Suivre la même démarche que pour « au pas » et « au trot ». Jouer à changer les allures à la voix de manière à garder le cheval attentif. Excellent exercice à faire à pied également.
Galop à droite, galop à gauche : à n’enseigner qu’à un cheval qui part du bon pied sur les aides. Demander d’abord sur le cercle à juste et à faux avec les aides, puis répéter en ligne droite ; contrôler sans les aides ; alterner sur une ligne droite les demandes de galop successives depuis le pas.
Figures de manège (volte, demi-volte, demi-volte renversée, doubler, changement de main, contre-changement de main, serpentine, cercle de 20m, huit de chiffre) : nécessite un cavalier qui sache faire décrire au cheval les figures au pas dans les dimensions réglementaires. On prononce le mot « Volte », on fait exécuter la figure au cheval. On contrôle en le laissant exécuter la figure sans aides. Présente l’avantage de donner la responsabilité de l’action au cheval.
Oui, Non, C’est bien, C’est très bien : en principe, on doit utiliser assez souvent ces expressions pour que le sens en soit compris en contexte. On peut cependant au début les associer à des interventions physiques (descente des aides, rectification du geste, caresses, récompenses, etc.). La récompense peut prendre de multiples formes en fonction des goûts du cheval : rênes longues au pas, trot ou galop allègre, courte promenade, pied à terre, retour à l’écurie, liberté… Le mot associé finit par devenir la récompense elle-même.
Arrête(r) : on commence l’apprentissage du pas, on progresse vers un apprentissage depuis le trot et le galop.
Ne bouge pas : profitez d’un moment où l’animal tient difficilement en place. Relâchez toute aide pour lui laisser la possibilité et même l’envie de bouger. Prononcer « Ne bouge pas » tout en le contraignant par les aides à rester en place. Relâcher et récompenser dès qu’il ne bouge plus pendant une seconde. Essayer cet exercice monté, mais aussi en liberté. Danièle est parvenue à effectuer des prises de sang en liberté grâce à la pratique de cet exercice et à la confiance qui s’était installé avec Dalame. Eviter de dépasser les limites de ce qu’il peut supporter, tenir compte du caractère de l’animal.
Attends : pour empêcher le cheval d’effectuer prématurément une action. Par exemple, pour lui demander d’attendre que sa nourriture soit servie, pour lui demander d’attendre une personne en promenade. Enoncer le mot dans le contexte tout en empêchant l’animal d’effectuer l’action qu’il s’apprêtait à faire.
Vas-y (autorisation) : corollaire du mot « attends », il faut un mot pour l’autoriser à agir. Le retenir entre 3 et 5 secondes par la longe avant de le relâcher pour le laisser aller brouter, manger dans son seau, où repartir. « Vous devez utiliser « Vas-y… Attends » dans toutes les circonstances où son impatience est gênante. »
Vas-y (encouragement) : le mot à utiliser pour être le supporter de son cheval, l’encourager à faire, à jouer, pour créer l’ambiance joyeuse du jeu. Sert également à le tonifier dans les exercices demandant beaucoup d’impulsion (saut, piaffer…).
On joue : pour inviter le cheval à jour gentiment avec l’homme. « Vous pourrez bientôt, quand vous lui aurez fait comprendre les termes qui vont suivre, jouer avec lui en liberté (fausses attaques, poursuites réciproques, course après un ballon qui rebondit, etc.) »
On arrête de jouer : l’habituer à une expression qui mette formellement fin au jeu. On peut quitter le lieu du jeu les premières fois, il prendra ainsi le réflexe d’arrêter le jeu.
Doucement (vitesse) : réduire la vitesse d’une allure avec les aides tout en prononçant « doucement ». L’apprentissage en bain de langue devrait suffire.
Doucement (modération des gestes) : le cheval ne réalise pas sa force et la fragilité de l’homme, et peut faire des gestes dangereux pour nous. Plutôt que de punir systématiquement, on peut utiliser une gradation, comme le font les chevaux entre eux : d’abord un cri (Non ! Doucement) pour signaler au cheval la douleur qu’il occasionne, et s’il récidive, les paroles seront accompagnées d’une tape franche sur l’épaule.
Tiens : à prononcer exclusivement quand on donne une friandise au cheval. Ainsi, il arrête d’en réclamer sans cesse, puisqu’il ne l’obtient qu’au signal.
2 – Du signal au signe
Le jeu des devinettes peut commencer. (Pour ceux qui comprennent le vocable linguistique, la première partie a permis de rôder le cheval à la compréhension de signaux, nous le testons sur des signes dans cette deuxième partie).
Volte au pas : on commence en prononçant le mot alors que le cheval est au trot. On ne l’aide pas, et s’il fait la volte au trot, on dit simplement « non » et on le ramène sur la piste.
Volte au trot : procéder de même, le cheval étant au pas. Il doit repartir sur la piste à l’allure où il était lorsque la demande de volte a été faite. Combiner les termes déjà connu tout en essayant d’éviter une concentration trop prolongé (cela doit rester un jeu) en entrecoupant avec des pauses relaxantes.
A droite, à gauche (direction) : Demander lui la direction par oral juste avant de tourner avec les aides, puis rendre les aides de plus en plus discrètes. Tester le cheval en lui demandant par exemple « volte à droite » ou « volte à gauche », sans l’aider.
Tout droit : faire deviner le mot au cheval par opposition aux directions « droite » et « gauche ». Par exemple en demandant des changements de directions fréquents, puis en disant « tout droit » snas autre indication, et en laissant le cheval deviner.
Sur la piste, piste intérieure : on peut enseigner « sur la piste » en remettant le cheval sur ladite piste chaque fois qu’il s’en écarte (apprentissage d’opportunité). On peut enseigner « piste intérieure » de la même manière qu’on a enseigné « gauche » et « droite », par opposition et en testant sans aides.
Et : apprentissage en bain de langue – on commence en apposant seulement deux demandes bien connues par le cheval. Par exemple « piste intérieure et volte à droite ». En répétant avec différentes figures, le cheval repérera le mot liant « Et ». On pourra alors expérimenter avec une indication d’allure.
Le coin : ajoutons un lieu d’action au vocabulaire. En commentant les figures exécutées au quotidien, le cheval finit par repérer le mot (Fais bien le coin, arrête-toi dans le coin). On peut alors lui demander d’exécuter des mouvements avec des aides de plus en plus légères, et poser la devinette de plus en plus loin du coin.
Recule(r) : n’enseigner ce mot que lorsque le cheval est capable d’exécuter trois foulées parfaites, ce qui demande une préparation physique préalable. L’enseigner de la même manière que le mot « Arrêter ».
Au milieu, à la porte, à la glace (miroir) : ajouter à son vocabulaire des points de repère variés est une bonne idée, pour diversifier le jeu. On peut l’apprendre en contexte en demandant au cheval « On s’arrête à la porte » et en faisant exécuter le mouvement avec les aides tactiles pour démonstration. On réitère avec d’autres mouvements de manière à ce que le cheval associe le mot porte avec l’objet. On procède de même pour les autres mots.
Jusqu’à : Essayer d’enseigner ce terme au cheval sans aides tactiles, maintenant qu’il connaît beaucoup de mots. Par exemple en demandant « Marche au trot jusqu’à la porte » et en le laissant agir. Pour ce terme, un apprentissage groupé est idéal avec différentes cibles (jusqu’au milieu, jusqu’à la porte, jusqu’au miroir).
Branche : apprentissage très utile pour l’extérieur, afin que le cheval soit plus attentif aux branches qui peuvent heurter son cavalier. Prévenir le cheval avec un « tu t’arrêteras à la branche », arrêter le cheval à l’endroit indiqué (dont il ne connaît pas encore la signification), soulevez la branche (éventuellement empêcher le cheval d’avancer à l’aide de mots qu’il connait comme « attends »), le récompenser d’un bonbon pour sa patience, puis repartir. Répéter ce scénario à chaque branche – le cheval ne tardera pas à repérer les branches et à s’arrêter de lui-même.
Recommence : si la figure pourrait être mieux exécutée, ne pas punir le cheval. Dire simplement « non », puis « recommence ». Fêter les réussites, même tardives.
« La jument que j’ai testée durant quinze ans était loin de considérer comme une punition le fait de devoir recommencer un travail, puisqu’il lui arrivait de refaire spontanément un exercice lorsqu’elle s’apercevait qu’elle l’avait moins bien exécuté que d’ordinaire. »
Parler au cheval et être compris, Danièle Gossin
Qu’est-ce qu’on fait ici ? Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Ces expressions encouragent le cheval à prendre l’initiative, à prendre en charge la suite des événements. Lorsque les petits rituels sont installés, comme par exemple s’arrêter au milieu du manège pour resangler, on peut demander juste avant l’arrêt « qu’est-ce qu’on fait ici ? » et laisser le cheval s’arrêter tout seul. Proposer cela dans des situations variées.
3 – Conclusion
Danièle ne détaille volontairement pas tous les termes possibles, car celui qui se prend au jeu avec son cheval aura vite fait d’imaginer de nouvelles devinettes et de nouveaux mots à enseigner.
Pour ceux qui veulent davantage d’idées, la partie 4 énumère les 181 mots et expressions enseignés au cours des 15 ans d’expérimentation avec la trotteuse Dalame.
Troisième partie – Petit lexique « Cheval – Français »
Dans cette partie, Danièle liste un grand nombre de comportements du cheval et tente d’offrir un équivalent en français. Ces comportements sont classés en 4 catégories :
- Expression vocale (exemple : variations de hennissements, cris aigüs)
- Expression corporelle (immobilité, gestes des membres, positions et mouvements de queue)
- Expression faciale (position des oreilles, mouvements et sons des naseaux, mouvements de la bouche, des yeux)
- Mouvements divers (écarts, bondissement, cabré…)
L’auteur met en garde contre l’interprétation des expressions du cheval :
- Il est dangereux d’interpréter un comportement isolément, car combiné à d’autres détails, sa signification peut changer complètement. Il faut prendre en compte l’ensemble de l’attitude du cheval.
- L’interprétation anthropomorphique est un autre risque important
- Il faut aussi se rappeler que le cheval a des sens (ouïe, odorat…) plus fins que les nôtres et peut percevoir des choses bien différentes de nous. Ce qui fait qu’on ne s’explique pas toujours leurs réactions.
Elle conclut en enjoignant le lecteur à ne pas se limiter à ce lexique, mais à observer par lui-même le cheval.
Note : je me permets de passer un peu vite sur ce chapitre. Le lecteur intéressé par le sujet peut se référer à un livre comme le « Comportements et postures » d’Hélène Roche, qui constitue une excellente base.
Quatrième partie – Une expérimentation de quinze années
« L’expérience a montré que le cheval pouvait comprendre et mémoriser le sens des mots même quand leur place dans la phrase variait, de même que les circonstances ou l’observateur (parlant à voix haute, chuchotant ou chantant). Il parvenait aussi à deviner le sens d’un signe à partir du contexte verbal ou environnemental, et distinguer si son sens variait ou non selon sa place dans l’énoncé. »
Parler au cheval et être compris, Danièle Gossin
De ce chapitre juteux, je vous épargnerai les descriptions scientifiques et me contenterai d’extraire quelques points marquants de l’expérience menée par Danièle Gossin avec Dalame. Ces extraits font tantôt rêver, tantôt réfléchir, et donneront plein d’idées à ceux qui voudraient expérimenter à leur tour.
Dalame, de ses 7 ans à ses 22 ans, a joué une heure par jour avec Danièle. La trotteuse est qualifiée d’énergique et assez émotive par sa propriétaire, avec cependant une bonne capacité d’attention – sauf pendant ses périodes de chaleurs ! Leurs activités communes : « dressage d’école monté, dressage en liberté, saut d’obstacle, promenade, un peu de compétition et de jeux équestres collectifs les quatre premières années, de dressage de haute école et de cirque ».
La démarche d’apprentissage se voulait proche de celui d’un jeune enfant qui ne parle pas encore mais est amené à comprendre le langage en interagissant avec ses parents ou en maternelle. Donc, en plus de l’apprentissage formel, Danièle parle beaucoup à Dalame, par exemple en commentant à voix haute les exercices.
Aperçu du répertoire lexical acquis par Dalame (la totalité des 181 mots et expressions sont listés dans l’ouvrage, je vous en propose ici un échantillon) :
- Substantifs : ballon, branche, manège, seau, les allures (pas, trot, galop, piaffer…), les noms de figures de manège (volte, diagonale, appuyer…), soleil, crottin, pipi, 3 noms propres de personnes…
- Verbes : faire, recommencer, boire, sauter, pose (le pied), descends (la tête), remonte (la tête), allonger (une allure), tu peux…
- Adverbes : doucement (vitesse, précaution), trop, encore, pas ici, bien, très bien, (reste) là…
- Adjectifs : numéro de 1 à 8, gauche, grand, petit, beau (bien exécuté)…
- Prépositions et conjonctions : à, de, jusqu’à, au milieu de, avec, autour de, après…
- Mots exclamatifs et interrogatifs : attention ! non ! stop ! tiens, où ?…
- Pronoms : toi, il, elle, ils, le, ça, moi…
- Expressions comprises globalement : fais comme moi, qu’est-ce que tu veux ? (objet à montrer), quand tu veux (liberté de choisir le moment de l’action), maintenant tu as le droit de..
Danièle ne s’est bien entendu pas cantonnée à 181 mots et expressions pris isolément, ce serait beaucoup moins intéressant. Elle les a combiné d’une multitude de manières, afin de tester la compréhension du langage par Dalame.
Voici à nouveau un petit échantillon des étonnantes trouvailles de Danièle en matière de capacité linguistique et de raisonnement du cheval :
- Homonymie : Dalame n’a jamais confondu deux mots identiques à l’oral, lorsque le sens était rendu évident par le contexte. Par exemple : « trot » et « trop », « pas » (allure) et « pas » (négation). Ou encore à l’énoncé de « trot petit », Dalame n’est jamais partie au « petit trot »
- Déduction d’un mot inconnu par opposition avec un mot connu : ex : tourne à droite → tourne à gauche
- Nombres et suites logiques : Dalame ayant appris les nombres 1, 2 et 3, Danièle a tenté une suite logique : elle a demandé à la trotteuse de reculer de 1 pas, puis de 2 pas, puis de 3 pas. Pour finir, elle a simplement demandé « Recule ». Dalame a alors reculé, plusieurs fois à la suite, de 4 pas. Réponse intéressante ! Danièle a alors renouvelé l’expérience en sens inverse : après 7 pas de reculer imposés par les aides tactiles, elle a demandé 6 pas, puis 5, 4, 3, 2, 1. La cerise sur le gâteau ? « Quelques temps plus tard, nous avons donc tenté les suites logiques de 2 en 2 et de 3 en 3 (une seule erreur au cours de ce test, signalée par « Non » et corrigée sans aide). Additions et soustractions simples ont également été tentées avec succès (par exemple : « fais une volte et deux voltes ».
- Dalame a appris à répondre « oui » de la tête sur présentation de matières comestibles, et « non » sur présentation de matières non comestibles. Quelques semaines plus tard, Danièle a eu la surprise de constater que Dalame faisait « non » de la tête lorsque sa propriétaire s’apprêtait à faire une action qui lui a toujours déplu (fermer le volet du box, la bouchonner avec de la paille…) Elle avait donc bien compris ce non comme un signe de refus, et pas seulement un simple signe de reconnaissance du non comestible.
- Le cheval qui ment : Danièle laissait parfois Dalame dans son box et la quittait quelques minutes après lui avoir ordonné « ne bouge pas ». En revenant vers son cheval, Danièle lui demandait si elle avait obéit et la maligne répondait « oui », attendant une récompense. Danièle n’était pas tout à fait sûre que le cheval soit resté à la même place. Un jour, elle a donc fait des marques à la craies autour de ses sabots avant de sortir de l’écurie… Et d’y revenir aussitôt pour voir Dalame rentrer précipitamment la tête dans le box et se remettre grosso modo à l’emplacement où Danièle l’avait laissé.
Le fait d’avoir établi une communication où l’humain peut s’exprimer en parlant a eu d’autres avantages encore :
- Danièle a remarqué que lorsqu’au cours du travail monté, Dalame n’était pas sûre d’avoir compris les aides tactiles de sa cavalière, elle tournait une oreille vers elle, attendant l’aide vocale qui la débloquerait.
- Elle a aussi noté qu’un exercice était mieux retenu par Dalame lorsqu’il était nommé.
- Et cette anecdote épatante, que je préfère recopier entièrement :
« Nous avons en outre constaté la chose suivante : à l’énoncé : « Fais ce que tu veux », Dalame enchaînait pendant le temps qu’elle souhaitait (de 3 à 15 minutes), les figures de son choix. Or, ce faisant, elle ne reproduisait jamais une figure dont on ne lui avait pas enseigné l’appellation, fût-elle fréquemment pratiquée. Par contre, celle-ci figurait en tête de son « programme » dès qu’elle en avait appris l’appellation. »
Parler au cheval et être compris, Danièle Gossin
Danièle Gossin conclut cette partie fascinante de son ouvrage en détaillant comment ces jeux ont transformé Dalame : la craintive, la « fuyarde éperdue », s’est muée, par le jeu desquels ont découlé une meilleure compréhension de l’humain et de son milieu de vie, la trotteuse est devenue curieuse, joueuse, mais aussi sereine et confiance, acceptant des injections en liberté et appelant l’homme au lieu de le fuir. Les facteurs de cette transformation ? la dédramatisation des choses par le langage, le caractère ludique de l’activité.
Notes & réflexions
Les points clés pour « parler au cheval et être compris »
En synthèse, les points clés permettant d’enseigner la compréhension du langage parlé au cheval sont :
- L’homme de cheval doit faire de son mieux pour comprendre le cheval, sans quoi, pas d’échange avec lui.
- Il faut créer une ambiance du jeu, et il faut être le supporter de son cheval ; il faut fêter ses réussites avec beaucoup d’enthousiasme.
- L’enseignement doit se faire de façon très progressive et logique – pas dans n’importe quel ordre, et sans brûler les étapes
D’autres exemples
L’exemple de Danièle Gossin et Dalame, mais ce n’est pas un cas isolé. Si cela vous intéresse :
- Explorer le monde d’Ania
- Peut-être également du côté de Patrick Kaye, qui travaille beaucoup à la voix et avait publié sur sa page Facebook qu’un de ses chevaux connaissait plus de 200 mots – j’avoue ne pas avoir retrouvé ni la publication ni d’autres mentions de cela
- …
Envie d’aller plus loin ?
Je ne pense pas qu’il soit aisé d’enseigner au cheval à comprendre des mots et des phrases avec la seule lecture de « Parler au cheval et être compris ». Danièle Gossin avait une formation professionnelle en éthologie et avait étudié de très près sur plusieurs espèces d’animaux les mécanismes du renforcement. Or, Comprendre la théorie est fondamental. A ce sujet, le livre le plus ludique et le plus agréable est sans aucun doute « Don’t shoot the dog » de Karen Pryor, qui sera également résumé sur Thébaine.fr.
Des ouvrages sur l’éducation au renforcement positif (« Motiver son cheval », par Hélène Roche) et les livres de Véronique de Saint Vaulry (« Eduquer son poulain du sol à la longe », « Le cheval d’extérieur ») apportent de précieuses précisions pour mettre en pratique le travail/jeu à la voix avec le cheval.
Comment se procurer « Parler au cheval et être compris » ?
A ma connaissance, il n’est plus édité aujourd’hui. Il reste possible de se le procurer d’occasion.
Et pour les curieux du sujet qui voudraient se coltiner quelques centaines de pages d’explications scientifiques, j’ai trouvé cette thèse du même auteur (pour l’obtention de son diplôme de recherche, spécialité éthologie) : Contribution à l’études des aptitudes cognitives chez le cheval domestique.
2 réponses à “Comment apprendre plus de 180 mots à un cheval”
Donc tu nous mets l’eau à la bouche et nous parlant d’un livre qui a l’air super intéressant et après tu nous dis qu’il n’est plus édité? C’est méchant ça! Je comprends que tu ne veuilles pas le prêter!
En tout cas c’est un résumé très intéressant pour moi qui suis encore en train de chercher les codes à instaurer avec ma jument.
Hihi, un peu, mais on le trouve d’occasion quand même ^^ Mais c’est toi qui me met l’eau à la bouche, tu travailles à la voix ? t’as instauré quoi comme code avec ta jument ?