Pierre Beaupère : Rectitude

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« Le but du dressage est uniquement, à mes yeux, de comprendre que le cheval sait déjà tout faire sans nous. Le but est simplement de l’aider en permanence à garder son équilibre alors que nous le gênons par notre poids. Le but du dressage est de chercher cet état d’harmonie, cet état de grâce où nous ne sommes plus un fardeau pour lui. »Équilibre et rectitude, Pierre Beaupère

Cet article résume la seconde partie du livre « Equilibre et Rectitude », de Pierre Beaupère. La première partie « Equilibre » est résumé dans cet autre article.

Deuxième partie – la rectitude

« la recherche de la rectitude par des moyens classiques et dans un souci de « Vérité » est sans doute le plus grand défi posé par le dressage correct et abouti d’un cheval. »Équilibre et rectitude, Pierre Beaupère

Pierre Beaupère introduit cette seconde partie en déplorant le manque de littérature équestre approfondissant le sujet de la rectitude (je confirme).

L’enquête

L’auteur se propose d’utiliser son expérience pour essayer de combler ce vide. Il introduit cette seconde partie par son histoire, ou comment s’est déroulé la recherche personnelle qui l’a conduit à s’intéresser à la rectitude.

1 – Comprendre la dissymétrie

La première dissymétrie, c’est la « latéralisation » (être gaucher ou droitier). Et elle existe aussi chez le cheval.

Un cheval droitier, ce n’est pas un cheval qui se plie facilement à droite, comme on pourrait le croire. C’est un cheval qui préfère utiliser son épaule droite. Il porte donc plus de poids sur cette épaule droite, décale ses épaules vers la droite, et pour compenser, porte son encolure vers la gauche. Il est donc légèrement courbé vers la gauche, et ses muscles du côté gauche sont courts et contractés tandis que les muscles du côté droit sont plus longs.

Ensuite, prendre en compte et comprendre le principe d’un centre de gravité permet d’expliquer pourquoi le cheval qui met son poids sur son épaule droite « dérive » vers la droite au lieu de marcher droit.

« Tant que le centre de gravité, qui est en quelque sorte le point qui équilibre toute la masse d’un corps, reste à l’intérieur de la base de sustentation, c’est-à-dire la surface sur laquelle repose le corps, celui ci est en équilibre. »Équilibre et rectitude, Pierre Beaupère

Cette citation, associée au schéma de l’auteur que je me permets de reproduire ci-dessous, permet de comprendre immédiatement le principe de l’équilibre.

Schéma tiré du livre "Equilibre et rectitude" de Pierre Beaupère
schema tiré du livre « Equilibre et rectitude » de Pierre Beaupère

A partir de ce concept, Pierre Beaupère nous permet d’entrevoir que cette latéralisation induit différentes forces sur l’organisme du cheval en mouvement – et ce avant même que le cavalier soit monté sur le cheval et ait imposé d’autres forces à travers son poids et ses actions.

2 – Le cheval monté

Illustration par Pierre Beaupère, tirée de son livre "Equilibre et Rectitude"
Illustration par Pierre Beaupère, tirée de son livre « Equilibre et Rectitude »

Qu’est-ce qui arrive au cavalier montantun cheval droitier ? Quand un cheval (droitier, donc) est contracté du côté droit et qu’on tente de le plier à droite malgré tout, il évite la pliure en écartant son postérieur gauche : c’est l’effet ciseaux (je tire en haut à droite, ça ouvre en bas à gauche, vous voyez le tableau ?). En ligne droite, le cavalier sent le cheval dériver vers la droite. Sur le cercle, la combinaison de la force centrifuge, de l’effet ciseaux de latéralisation du cheval, de la dissymétrie du cavalier ont un effet dévastateur sur le physique et le mental du cheval.

« Rappelez-vous que si vous gardez un contact important à droite, vous bloquez l’épaule droite du cheval. »

Les effets sur la position du cavalier : la latéralisation naturelle du cheval droitier est accentuée par le cavalier qui le monte. Celui-ci n’a pas d’autre choix que de tenter de se rééquilibrer en cherchant le contact avec la selle avec sa fesse droite – et de compenser le déséquilibre vers la droite en penchant légèrement vers la gauche. On retrouve sur le cavalier les mêmes problèmes que sur le cheval.

A ce stade, un petit avertissement n’est pas inutile : tous les problèmes d’un couple cavalier/cheval ne disparaîtront pas en corrigeant la dissymétrie. Mais cette correction est indispensable pour « évoluer et accéder à l’Equilibre« .

Comment constate-t-on la dissymétrie à travers les exercices (toujours dans notre exemple de cheval droitier) ? Pierre Beaupère passe en revue un certain nombre d’exercice de dressage et d’obstacle pour expliquer les conséquences et attitudes d’un cheval très droitier dans ces exercices.

Plutôt que de retranscrire tous ces exercices dans un résumé trop sommaire pour être utile, je retiens ces deux points clés :

  • Pour deviner les effets et les conséquences qu’auront un exercice ou un autre sur le cheval dissymétrique, il suffit de se rappeler que le cheval essaye toujours de revenir dans sa position « de base » (pour le droitier : encolure et postérieur gauche à gauche et épaule droite à droite).
  • Le travail de la rectitude doit intervenir le plus tôt possible. La rectitude n’est pas un aboutissement du dressage, mais un travail de longue haleine à mener tout au long du dressage

Après avoir exploré les causes de la dissymétrie et comment celle-ci s’exprime le plus souvent pour le cavalier, voyons ses conséquences pour la locomotion.

« La meilleure des médecines, c’est la bonne équitation ! »

Nous avons vu dans l’exemple du cheval droitier que celui-ci avait tendance à mettre davantage de poids sur l’antérieur droit. La conséquence, c’est que l’antérieur droit est comme bloqué par tout ce poids – et le mouvement de cet antérieur sera plus court, tandis que l’antérieur gauche est libéré et capable d’un mouvement plus ample. Le cheval droitier effectue donc un pas plus petit avec son antérieur droit. Avec cet antérieur droit qui retombe durement à chaque foulée, façon « marteau piqueur », la douleur causée au cheval est réelle s’il n’est pas travaillé de manière à résorber cette dissymétrie. Dans certains cas malheureux, l’allure dissymétrique accentuée par la douleur ressemble à une boiterie et peut causer des erreurs de diagnostics de la part des vétérinaires, et donner lieu à des mesures drastiques qui pourraient être évitées par un travail dans le bon sens.

Le mouvement des postérieurs est également impacté par la dissymétrie du cheval. Avec l’antérieur droit (de notre cheval droitier) qui se pose plus tôt, le mouvement du postérieur droit se raccourcit également, puisqu’il rejoint l’antérieur plus vite que prévu. Ensuite, comme le centre de gravité du cheval droitier est décalé vers la droite et vers l’avant, le postérieur gauche, opposé dans le trot à l’antérieur droit est déchargé d’une partie du poids qu’il devrait supporter, et le mouvement de la paire diagonale est désynchronisé.

3 – Correction de la dissymétrie

Maintenant que l’on comprend la dissymétrie chez le cheval et comment elle est ressentie par le cavalier, voyons comment la corriger. Pierre Beaupère nous encourage à revenir aux parties précédentes si un point n’était pas compris.

Pierre Beaupère préfère corriger la dissymétrie dans le mouvement en avant (vs les assouplissements en place).

Il réduit le problème de la dissymétrie se réduit à ces deux points à travailler :

« Il nous faut d’une part ramener le centre de gravité à sa place pour obtenir l’EQUILIBRE et un DEPLACEMENT CORRECT et, d’autre part, travailler sur l’équilibre musculaire afin que le cheval décontracte de manière égale les muscles des deux côtés de son corps mais aussi qu’il les tende de manière positive vers la main du cavalier pour prendre un contact moelleux et constant. »Équilibre et rectitude, Pierre Beaupère

Il insiste sur l’importance de décomposer le problème pour le travailler en plusieurs petites étapes.

La première étape sera de se focaliser sur le postérieur faible (celui sur lequel le cheval évite de mettre du poids, donc le gauche chez un cheval droitier). Car pour pouvoir mieux répartir tout le poids du cheval sur ses membres, ce postérieur doit se trouver sous la masse et s’employer. L’exercice pour apprendre au cheval à engager ce postérieur gauche, c’est l’épaule en avant à main gauche. Quelques points clés et écueils à éviter :

  • C’est le contact qui indique au cavalier si le cheval est droit ou courbé d’un côté ou de l’autre. Se laisser guider par le contact plutôt que par une idée absolue – la dissymétrie peut évoluer au cours du travail.
  • Dans l’épaule devant, pour amener le cheval à engager le postérieur qu’il refuse d’engager (souvent en pliant beaucoup son encolure), ne pas hésiter à chercher un angle très fort.
  • Pour un cheval qui ne connaît pas encore les aides de l’épaule en dedans, utiliser la contre-épaule en dedans pour réaliser l’exercice nécessaire en évitant de durcir les aides.

L’étape suivante est de libérer l’épaule bloquée, celle sur laquelle le cheval pèse, pour lui donner davantage de mobilité et assouplir le côté droit. Cela, c’est encore l’épaule en avant à gauche, muée progressivement en épaule en dedans, qui va le permettre.

Il faut maintenant travailler sur l’équilibre musculaire pour étendre le côté contracté (le gauche) afin d’avoir un pli et un contact correct à droite, et un centre de gravité à sa place. Pour cela, il faudra être capable de ramener les épaules du cheval vers la gauche à partir du cercle à gauche dans le contre-pli. Pour rappel, on ne peut pas étendre le côté gauche et raccourcir le côté droit par l’usage de la rêne droite, qui entraînerait un effet ciseaux. On peut en revanche remplacer l’action de la main par celle de la jambe du même côté.

Une fois les préparations précédentes réalisées, tout est en place pour amener le cheval à s’incurver du côté difficile « il nous reste à comprendre comment agir avec la jambe afin non seulement de contrôler les épaules mais aussi de provoquer la contraction des muscles du côté droit. » La jambe, puisqu’elle doit influencer les épaules, devra agir le plus en avant possible, à la sangle. La rêne droite devra être maniée avec beaucoup de délicatesse pour ne pas devenir un point fixe auquel le cheval (et parfois le cavalier) se raccroche. La combinaison de l’action de la jambe et de la main va permettre de faire comprendre au cheval progressivement qu’il lui faut s’incurver du côté difficile.

Le cheval capable de s'incurver aussi facilement à gauche qu'à droite est forcément capable d'être droit. Illustration par Pierre Beaupère
Le cheval capable de s’incurver aussi facilement à gauche qu’à droite est forcément capable d’être droit. Illustration par Pierre Beaupère

Pierre Beaupère nous donne donc les moyens, avec les étapes précédentes, d’incurver le cheval du côté difficile. Comment passer à présent au cheval droit ? Cette partie donne une multitude de pistes au cavalier pour sentir que le cheval est droit d’épaules et de hanches, et pour agir lorsqu’une déviation apparaît.

Enfin, il propose une séquence d’exercices afin de permettre à un cavalier travaillant seul d’avoir un fil rouge à suivre pour développer la rectitude. Il n’y a honnêtement pas grand intérêt à résumer la séquence en elle-même : ce serait inévitablement réducteur par rapport à toute la richesse qu’apporte l’auteur pour aider le cavalier à mettre en pratique cette séquence correctement. Car outre les exercices, Pierre Beaupère apporte une quantité de points de repère et d’images mentales pour comprendre les effets de l’exercice et s’assurer que leur mise en pratique porte ses fruits.

Notes personnelles & réflexions

Ces deux résumés de chacune des deux parties du livre de Pierre Beaupère sont parmi les plus frustrants que j’ai rédigé : si un sujet aussi riche que celui traité dans cette seconde partie de son livre pouvait être résumé facilement en un court article de blog – ça se saurait.

D’autant plus que, soyons honnête, même si j’ai la « chance » d’avoir compris beaucoup de choses sur les problèmes dûs à la rectitude grâce à ma merveilleuse et complètement tordue jument, il me faudra encore quelque temps et beaucoup de pratique pour assimiler complètement les concepts et les explications présentés dans ce livre. Pierre Beaupère dit lui-même avoir lu 10 ou 15 fois l’un des ouvrages qu’il recommande (Straightening the Crooked Horse: Correct Imbalance, Relieve Strain, and Encourage Free Movement with an Innovative System of Straightness Training, disponible uniquement en anglais) pour l’assimiler.

Dernier point : j’apprécie beaucoup beaucoup beaucoup l’humilité de cet auteur, qui se propose d’apporter sa pierre à l’édifice, et énonce son expérience, ses recherches sans prétendre que ce qu’il avance est supérieur à une autre méthode, sans besoin d’écraser un autre point de vue.

Où se procurer ce livre ?

On peut acheter « Equilibre et rectitude » directement sur la boutique de son site internet. Merci à lui d’offrir la possibilité de l’acheter aussi bien en version papier qu’en version numérique (format .pdf).

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En pratique

Voilà une citation à méditer… Et à mettre en pratique :

« Dans la quantité de mes élèves, ceux qui progressent le plus vite sont ceux qui ont cette capacité de se focaliser sur le contrôle d’eux-mêmes. Cela n’a rien à voir avec de la raideur, loin de là, uniquement sur le fait de pouvoir, tout en restant décontracté, fixer une main qui avait tendance à bouger, corriger inlassablement un défaut de position ou s’empêcher d’avoir une réaction néfaste pour le cheval mais qui était devenue une habitude. Les élèves qui progressent le moins vite sont ceux qui s’occupent tellement du cheval qu’ils en oublient leur propre corps, au point de ne plus se rendre compte qu’ils tirent de toutes leurs forces sur la rêne droite et donnent de grands coups dans la bouche du cheval tant leur main gauche bouge ! »
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3 réponses à “Pierre Beaupère : Rectitude”

  1. je me permet en vous lisant, je pense qu’il y a une rectification à apporter dans le chapitre 1

    1 – Comprendre la dissymétrie
    La première dissymétrie, c’est la « latéralisation » (être gaucher ou droitier). Et elle existe aussi chez le cheval.

    Un cheval droitier, ce n’est pas un cheval qui se plie facilement à droite, comme on pourrait le croire. C’est un cheval qui préfère utiliser son épaule droite. Il porte donc plus de poids sur cette épaule droite, décale ses épaules vers la droite, et pour compenser, porte son encolure vers la gauche. Il est donc légèrement courbé vers la gauche, et ses muscles du côté gauche sont courts et contractés tandis que les muscles du côté gauche sont plus longs.

    « les muscles du côté droit sont plus longs. » et non gauche.

  2. En vous lisant je croix qu’il y a une modification à faire dans le texte du chapitre 1 :

    1 – Comprendre la dissymétrie
    La première dissymétrie, c’est la « latéralisation » (être gaucher ou droitier). Et elle existe aussi chez le cheval.

    Un cheval droitier, ce n’est pas un cheval qui se plie facilement à droite, comme on pourrait le croire. C’est un cheval qui préfère utiliser son épaule droite. Il porte donc plus de poids sur cette épaule droite, décale ses épaules vers la droite, et pour compenser, porte son encolure vers la gauche. Il est donc légèrement courbé vers la gauche, et ses muscles du côté gauche sont courts et contractés tandis que les muscles du côté gauche sont plus longs.

    « les muscles du côté gauche sont plus longs. » cela doit être du côté droit.

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